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Publié le 05-06-2022
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Afrique

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« Je suis venu vous voir pour vous demander de prendre conscience que nos pays [?] sont des victimes de cette crise au plan économique. » C'est le message qu'est venu délivrer à Vladimir Poutine le chef de l'État sénégalais Macky Sall, en sa qualité de président en exercice de l'Union africaine, en visite à Sotchi (sud de la Russie) ce vendredi 3 juin.

Le dirigeant sénégalais, accompagné du président en exercice de la Commission de l'institution panafricaine, a insisté ? cent jours après le déclenchement de la guerre ? auprès du président russe afin qu'il prenne « conscience » que l'Afrique est victime de son conflit en Ukraine, du fait du danger d'une grave crise alimentaire mondiale.

En effet, le conflit qui implique la Russie et l'Ukraine, deux superpuissances agricoles qui assuraient 30 % des exportations mondiales de blé, a immédiatement conduit à une flambée des cours, qui dépassent déjà ceux qui ont déclenché les Printemps arabes de 2011 et les émeutes de la faim de 2008. Or, les voyants sont au rouge, plus aucun navire ne sortant d'Ukraine ?
Qui était aussi le quatrième exportateur de maïs, en passe de devenir le troisième exportateur mondial de blé, et assurait seule 50 % du commerce mondial de graines et d'huile de tournesol avant le conflit.

CRISE. Président en exercice de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall s’est inquiété des conséquences des sanctions, dont les céréales ukrainiennes bloquées.

La guerre en Ukraine empêche l'exportation des céréales stockées dans le pays et met en danger les productions à venir. Une situation qui met l'Afrique sous tension. Réunis en sommet lundi et mardi à Bruxelles, les dirigeants de l'Union européenne (UE) ont décidé d'accélérer leurs efforts pour sortir les stocks bloqués en Ukraine, notamment en négociant avec Moscou un accès sécurisé au port d'Odessa, afin d'éviter une crise alimentaire mondiale. L'UE entend tenir compte du fait que de graves pénuries alimentaires pourraient déclencher une importante vague de migration vers l'Europe en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient, un risque également souligné par le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de son discours lundi. Face au blocus imposé par l'armée russe dans la mer Noire, paralysant le port stratégique d'Odessa, l'Ukraine cherche d'ailleurs désespérément à exporter les quelque 20 millions de tonnes de céréales entreposées dans ses silos. Ça devrait être fait d'ici aux prochaines récoltes, cet été, qui nécessiteront à leur tour d'être stockées.

Dirigeants africains et européens préoccupés
Le son de cloche est le même chez le président du Sénégal, Macky Sall, actuellement à la tête de l'Union africaine. « La situation est préoccupante », a-t-il averti les chefs d'État et de gouvernement de l'UE dans une visioconférence. « Cette crise affecte particulièrement nos pays en raison de leur forte dépendance des productions russes et ukrainiennes de blé », a insisté Macky Sall. « Le continent pourrait plonger dans la stagflation, une combinaison de croissance lente et d'inflation », a alerté Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD), qui vient de publier ses nouvelles prévisions économiques. On apprend que le PIB africain devrait croître de 4,1 % en 2022 mais avec une inflation qui va accélérer à 13,5 %, sous la pression des prix des matières premières, de l'énergie et des denrées alimentaires.

Alors que l'ONU craint « un ouragan de famines » dans des pays africains qui importaient plus de la moitié de leur blé d'Ukraine ou de Russie, le président en exercice de l'Union africaine a exhorté les 27 à tout faire « pour libérer les stocks disponibles ». Selon les estimations de l'organisme présidé par le Portugais Antonio Guterres, 282 millions de personnes, soit plus du tiers des individus sous-alimentés dans le monde, vivaient en Afrique en 2020. « S'y ajoutent 46 millions d'Africains menacés de faim et de sous-alimentation à cause de la pandémie de Covid. Le pire est peut-être devant nous », a-t-il averti, soulignant que la flambée des prix des engrais pourrait provoquer un effondrement « de 20 à 50 % » des rendements céréaliers en Afrique cette année.

Les Européens ne cessent de répéter que les sanctions occidentales contre Moscou ne sont « pas responsables » des tensions sur les marchés alimentaires. Pour le Premier ministre belge, Alexander De Croo, la Russie est en train de « prendre en otage les céréales mondiales ». Illustration : outre le blocus des ports, Moscou « bombarde délibérément entrepôts et champs », a affirmé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a accusé le président Vladimir Poutine d'utiliser « la faim et les céréales pour exercer le pouvoir ». Pour autant, « gagner la bataille de la sécurité alimentaire est important d'un point de vue stratégique pour les Européens, car, dans le cas contraire, les pays africains, déjà peu enclins à soutenir les Occidentaux face à Moscou, se sentiront trahis », a mis en garde le Premier ministre italien, Mario Draghi.

Des pistes de solutions existent, mais…
Le président français Emmanuel Macron a annoncé mardi avoir proposé à son homologue russe Vladimir Poutine le vote d'une résolution à l'ONU pour lever le blocus d'Odessa. Avant de déminer le port pour permettre aux vraquiers d'y accoster, « il faut des garanties de sécurité aux Ukrainiens, l'assurance que les Russes n'en profiteront pas pour attaquer », a souligné le dirigeant français. « Il n'est pas question que, sous le couvert d'un corridor maritime, il y ait une fragilisation de la situation sécuritaire de l'Ukraine », a renchéri Charles Michel, président du Conseil (organe représentant les États membres).

Le président Macron a mis en avant « le rôle important » de la Turquie, membre de l'Otan et qui détient une position stratégique en mer Noire. « Il faut éviter qu'un pays de l'Otan puisse se retrouver, sans le vouloir, pris dans un incident débouchant sur un conflit », s'inquiète un responsable européen. Selon Mario Draghi, Vladimir Poutine a déjà indiqué qu'il pourrait ouvrir l'accès à Odessa « à condition que les navires ne transportent pas d'armes », ce qui suppose des « contrôles ».

Dans l'immédiat, les dirigeants des 27 veulent accélérer la mise en place de « voies prioritaires » pour sortir les céréales ukrainiennes par route, chemin de fer, voire par péniche sur le Danube. « C'est compliqué pour des raisons logistiques, et plus onéreux », a cependant noté Charles Michel. Ces voies permettront au mieux de transporter un tiers des stocks de blé, selon une source européenne. Les wagons ukrainiens ne sont pas compatibles avec les réseaux ferroviaires de l'UE en raison d'un écartement des roues différent, ce qui oblige à la frontière de transborder les céréales dans des camions ou des wagons au standard européen.

Une guerre aux conséquences multiples pour l'Afrique
Macky Sall s'est aussi alarmé des conséquences des sanctions européennes sur le commerce de céréales alors que l'UE va exclure la principale banque russe, Sberbank, du système financier international Swift, une messagerie sécurisée cruciale pour les transferts de fonds. « Quand le système Swift est perturbé, cela veut dire que, même si les produits (à acheter) existent, le paiement devient compliqué, voire impossible », s'inquiète-t-il. Le président sénégalais a également averti que la flambée des prix des engrais – principalement produits en Russie, en Ukraine et en Biélorussie – pourrait provoquer un effondrement « de 20 à 50 % » des rendements céréaliers en Afrique cette année. « Les mécanismes sont en place pour que les paiements puissent être faits et qu'il y ait la possibilité de faire acheminer ces engrais », a assuré Emmanuel Macron. Avant la guerre, Russie et Ukraine assuraient à elles deux 30 % des exportations mondiales de blé.